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Mon enfant catégorise les autres

4 octobre 2021
Mon enfant catégorise les autres

Comment réagir quand un enfant décrète un truc, déclame une vérité, s’accroche à une croyance, et que cela va à l’encontre de nos propres valeurs de paix et de tolérance, notamment lorsque cela se heurte à notre attachement à plus de nuance et d’empathie ?

Que dire, que faire, quand un enfant dit par exemple : « lui, il est méchant, je l’aime pas, et j’aime pas toutes les personnes qui lui ressemblent parce qu’elles sont bêtes ».

Hum…

Y’a un truc qui a fait tilt dans ma tête, et je ressens l’élan irrépressible de vous le partager, parce que ce truc qui a fait tilt dans ma tête, je suis sûre qu’il fera tilt dans la tête d’autres personnes. Ce tilt a eu lieu dans le cadre de ma relation avec mon enfant autiste, et certains parents d’enfants autistes trouveront peut-être dans ce partage une résonance particulière. Mais je crois que ce tilt ne concerne pas seulement le monde de l’autisme…

Cet article fait suite à mon article précédent, S’adapter aux autres, qui est un peu complémentaire et que vous pouvez lire indépendamment de celui-ci.

Lire aussi : S’adapter aux autres

Caractère restreint et répétitif des comportements ?

J’ai souvent l’impression que mon fils autiste de 8 ans fait preuve de rigidité, d’inflexibilité, et classe beaucoup en mode binaire. J’observe qu’il a tendance à catégoriser les gens (gentil/méchant, fort/nul…) et les situations (c’est comme ça et pas autrement).

J’ai des exemples à la pelle depuis sa naissance. Il y a mon ressenti, et puis il y a ce que j’ai appris et continue d’apprendre depuis son diagnostic d’autisme. Parfois j’oublie un peu, et relire des choses au sujet de l’autisme m’aide à réactualiser ma compréhension de son fonctionnement neurologique, pour m’aider à me souvenir et à me reconnecter à ses besoins. Des rafraîchissements sont toujours les bienvenus.

Pour information ou rappel, en ce qui concerne les critères diagnostiques de l’autisme, qui est un trouble neuro-développemental, on parle de dyade autistique:

1/ déficits de la communication et des interactions sociales ;

2/ caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités.

Ainsi, ce que je perçois parfois chez mon fils comme de l’inflexibilité, un manque de nuance, une manière binaire d’appréhender la vie… et bien ça fait partie des critères de diagnostic, ça rentre dans la case « caractère restreint et répétitif des comportements ». Cette case, ce n’est pas juste des comportements répétitifs comme faire tourner des roues, battre des mains, ou réciter quelque chose par coeur, parfois c’est plus subtil à un oeil non averti. Tout comme la case « déficit de la communication et des interactions sociales », ce n’est pas juste ne pas parler ou fuir les regards en marmonnant dans son coin.

Voir aussi : Autisme de mon fils, ce que j’ai appris

En tant que mère non autiste d’un enfant autiste, je peux beaucoup mieux prendre soin de lui quand je prends conscience que l’inflexibilité est une manière d’exprimer un besoin de prédictabilité, qui est un besoin souvent très fort dans l’autisme. En fait, la prédictabilité n’est pas tout à fait un besoin en soi, le besoin sous-jacent est un besoin de sécurité avant tout. Et oui, on peut accompagner un enfant autiste, peu à peu, à ne plus se sentir en danger lorsque les choses ne se passent pas comme prévues… mais on peut faire cela sans renier ou minimiser l’importance de la prédictabilité.

Mon fils ne fait pas de caprices quand il refuse de bouger si on change la date d’une sortie au dernier moment, il se sent agressé par ce changement impromptu dans l’emploi du temps. 

On peut accompagner à peu à peu faire accepter les changements, dans une certaine mesure, sans forcer les changements (c’est violent).

Lire aussi : La quintessence de l’enfant roi

Comprendre cela m’a aidé à me sentir plus proche de lui et plus compétente pour l’aider. J’ai été teeeellement rassurée lorsqu’à ses 5 ans, la pédiatre spécialisée m’a prise au sérieux lorsque je lui racontais qu’il arrivait à mon fils de faire des crises de rage si le trajet du bus changeait de manière imprévue. (Il m’est arrivé deux fois que des conducteurs me demandent de mieux tenir mon enfant ou de sortir… Et j’ai mis des heures à m’en remettre, mon propre stress prenant totalement le dessus. Rien que d’y penser, ça me fait encore quelque chose. J’ai encore honte de ne pas avoir été à la hauteur pour mieux gérer nos stress respectifs ces jours-là. Parce que vous savez ce qu’on dit, comme le stress parental est contagieux pour nos enfants…)

Dans la case « caractère restreint et répétitif des comportements », il y a aussi les fameux « intérêts spécifiques », les IS. J’aime voir mon fils se prendre de passion pour un sujet et y plonger entièrement, ne faire presque plus que ça, ne parler que de ça, reproduire encore et encore les mêmes dessins. Ces IS sont parfois étonnants, surprenants, souvent très spécifiques, comme leur nom l’indique. Par exemple, mon fils s’intéresse très spécifiquement aux haies taillées en forme de sphère. Il ne s’intéresse pas au jardinage en général, ni à l’art topiaire, mais bien aux haies taillées en forme de sphère. Il s’intéresse aussi au foot, mais plus spécifiquement aux classements, aux logos, aux scores, aux dates de naissance, tailles et poids des joueurs… les chiffres et les formes.  (Et à côté de ça, avec des petits aménagements et un bon accompagnement, il joue aussi au foot dans une équipe, fait des matchs de ligue, accepte de perdre… oui oui, être autiste n’empêche pas tout ça, pour peu qu’on accepte de faire quelques adaptations et qu’on y aille à son rythme). Il s’intéresse à plein de choses, ça change souvent.

J’aime m’intéresser avec lui à ce qui l’intéresse, même si à la base ça ne m’intéressait pas du tout (le foot…). Nos échanges peuvent parfois sembler un peu à sens unique en terme d’écoute (c’est surtout lui qui parle), mais j’adore ces échanges, et je perçois comme il aime se sentir écouté, se sentir compris. On peut parler pendant des heures de ce qui l’intéresse, faire des recherches ensemble, partir en expédition sur google ou dans les parcs pour trouver des haies bien taillées en forme de sphère et se réjouir ensemble quand on en trouve. À partir de ces échanges, je peux rebondir, communiquer, entrouvrir des portes d’apprentissages, ou juste lui exprimer mon amour…

Bien sûr, moi, je suis sa mère, une adulte qui le comprend et avec qui il est en sécurité affective. Il ne peut pas reproduire cette manière de communiquer dans une cour de récré. Enfin si, il peut, mais ça fonctionne mal pour se faire des amis, de parler à sens unique de choses très spécifiques en refusant de dévier la conversation sur autre chose, ou de répéter les mêmes choses encore et encore… Il ne sait pas bien comment faire pour interagir avec d’autres enfants (jusqu’ici, les adultes restent compréhensifs et intéressés), et les situations sociales inhabituelles sont sources de stress pour lui. 

En état de stress, le monde rétrécit. Les possibilités rétrécissent. Il n’y a pas de place pour la créativité, pour l’écoute de l’autre, pour l’exploration, pour étendre ses intérêts et apprentissages. En état de stress, c’est la recherche de la sécurité et du connu qui prime, c’est l’urgence de la mise à l’abri. Ça peut se traduire par la fuite (partir en courant sans notion de danger), le repli, se figer, ou l’attaque…

Refuser les nuances et les explications

J’observe aussi, chez mon fils, une tendance à voir les choses en mode binaire, et à se braquer à toute suggestion de nuance sous forme d’explications verbales, visuelles ou métaphoriques. Et ça, pour moi, c’est déroutant. Je ne peux pas « éduquer » mon fils en lui « expliquant » mes valeurs de paix dans le monde. Avec lui, je n’ai pas du tout le même genre de conversations qu’avec son petit frère.

Alors vous me direz, en tant que parents, c’est ce qu’on fait plutôt que ce qu’on dit qui compte vraiment. Certes. Mais moi, quand mon fils décrète que Joséphine est bête et méchante, qu’il l’agresse verbalement voire physiquement, et que des semaines plus tard il me répète encore à quel point Joséphine est bête et méchante, voire qu’il essaie de rallier d’autres enfants à sa cause… Non, je n’ai pas envie de laisser ce comportement s’installer sans chercher à creuser.

Ce sont des « enfantillages », certes, mais pour moi c’est pas ok. Donc je réagis. Or, ma première réaction, à chaud, c’est d’une part de défendre Joséphine, et d’autre part d’expliquer, de chercher à apporter de la nuance, de donner le point de vue de Joséphine, blablabla… C’est cool pour Joséphine que je prenne sa défense. Mais mon fils, il s’en fiche, mes explications ne l’atteignent pas comme je voudrais. Voire, ça le conforte dans son idée que Joséphine est bête et méchante, puisqu’en plus, à cause d’elle, j’exprime à mon fils que je désapprouve son comportement. Je prends la défense de quelqu’un d’autre ! Moi, sa maman, celle sur laquelle il est sensé pouvoir compter à tout instant pour le soutenir, je défends le « camp adverse »…

Vraiment, des exemples, j’en ai plein. Récemment, j’ai appris qu’il s’était levé en pleine classe, alors qu’une petite fille parlait pour l’élection des délégués, et qu’il lui a crié : « T’ES MOCHE ! »

« S’il le dit c’est qu’il l’a entendu »… Sincèrement, j’ai des doutes.

Tout comme quand, il y a quelques années, il balançait des chaises sur les autres enfants… je vous promets qu’il n’a jamais vu personne balancer de chaises sur autrui dans son entourage.

Mes valeurs de paix dans le monde, je ne sais pas comment les lui transmettre. Je ne peux pas lui « expliquer ». Je ne peux pas utiliser de contes pour faire passer des messages, parce que tout ce qui est fictions et métaphores, c’est encore pire, il n’accroche pas. Quant à l’approche de lui partager le ressenti d’autrui… Nope. Il s’en fiche. Il ne s’en fiche pas « exprès », ce n’est simplement pas un langage qu’il comprend.

Si je n’y prends pas garde, ça peut se terminer en dialogues de sourds (au mieux), ou en invraisemblables rapports de force entre nous. Car ayant moi-même mes propres émotions, valeurs, mécanismes de défense et conditionnements inflexibles, des fois, ça clash. Surtout si je suis moi-même en état de stress, ou que j’ai mal dormi les nuits précédentes…

Catégoriser comme mécanisme de défense

Puis un jour, ça a fait tilt.

J’étais en train de discuter du dernier rapport de l’orthophoniste avec mon amie Gwendoline, ergothérapeute de profession, passionnée par son métier, et en particulier passionnée d’autisme (wait for it, on a une vidéo en cours ensemble pour parler d’ergothérapie). Je lui disais que dans ce rapport était mentionné le fait que mon fils dit à d’autres enfants qu’ils sont nuls (et que ça le fait rire).

Et là, tranquilou, Gwendoline m’a rappelé ce que j’avais perdu de vue : toute rigidité mentale est une stratégie pour gérer un stress émotionnel.

La rigidité est une façon d’augmenter la prédictabilité.

Dans un environnement stressant, développer des rigidités est un mécanisme pour augmenter la prédictabilité.

C’était un rappel très rafraichissement pour moi. Je le « savais », a priori, mais j’avais oublié.

À partir de là, je peux revenir à cette histoire de Joséphine qui, selon mon fils, est catégoriquement et irrémédiablement bête et méchante… Quelles étaient ses émotions à ce moment, quels besoins il exprimait, en quoi la situation était-elle stressante pour lui ? Comment était son environnement ?

Ça devient alors plutôt évident : je comprends qu’il était jaloux que j’apporte de l’attention à Joséphine alors que d’habitude à la maison je ne m’occupe que de lui et son frère (changement pas prévu de dynamique dans nos relations), il ne savait pas comment faire pour intégrer une nouvelle enfant dans ses jeux et il avait besoin d’aide spécifique à ce sujet (déficit de compétences sociales), le comportement de Joséphine était imprévisible pour lui (insécurité, ressenti d’être attaqué), il était stressé par l’environnement de vacances différent de d’habitude et il n’avait pas ses routines habituelles… Au lieu de lui dire « mais non Joséphine n’est pas bête et méchante », j’aurais pu lire entre les lignes de son comportement.

C’est du passé, mais rien n’est trop tard. D’ailleurs, ça l’a tellement marqué qu’il m’en parle encore presque tous les jours, deux mois plus tard, que Joséphine est bête et méchante, même si on ne la voit plus au quotidien. Il ne lâche pas l’affaire. Tant mieux, nous avons ainsi moult occasions de revenir sur cette période de sa vie. Nous rejouons les scènes, nous verbalisons les émotions (jalousie, peur, déception, inquiétude, etc), j’essaie de deviner avec lui ce dont il aurait eu besoin (que je ne prenne pas parti pour Joséphine, que je passe plus de temps avec lui, qu’on le prévienne mieux de l’emploi du temps, que je le rassure sur mon amour pour lui qui ne disparait pas lorsque je joue avec d’autres enfants que lui ou son frère, que les règles des jeux soient plus claires, etc). Est-ce réglé ? Je ne sais pas. Régulièrement, il me demande « qui aimes-tu le plus, moi ou Joséphine ? »… 

N’avons-nous pas tous nos propres rigidités mentales ?

Tenir une conversation, se faire des amis, adapter ses comportements pour être inclus en société, l’adaptabilité… ça peut s’apprendre, même si ce n’est pas aussi facile pour tout le monde. Or, on n’apprend pas grand chose quand on est en situation de stress. Le stress, c’est très pratique ponctuellement dans certains cas, mais pas pour apprendre des compétences sociales sur le long terme, et pas quand il est chronique.

La rigidité mentale est une façon de gérer les situations émotionnellement difficiles. Mais est-ce que ça concerne seulement l’autisme ?

Je crois que non. Si ça peut être particulièrement intense dans le cas de l’autisme (lorsque les besoins spécifiques associés à l’autisme ne sont pas identifiés et compris), je crois que ça concerne plus ou moins un peu tout le monde : lorsque nos besoins ne sont pas nourris, lorsque nous sommes face à des stress sans moyen de défense, nous mettons en place des conditionnements, des croyances. Des vérités figées. Des rigidités. Les « conclusions sur la vie », c’est un moyen de gérer nos émotions lorsque nous n’avons pas d’autres ressources pour les accueillir.

Puis à force, si les situations de stress ne sont pas reconnues comme telles, nos besoins pas nourris, ça finit par créer dans nos schémas de pensées des automatismes mentaux bien ancrés, des conditionnements qui sont source de violence et de séparation.

Des « conclusions sur la vie », nous en avons tous un paquet… Et si nous nous y attardions un peu pour explorer ce que cela nous évoque de besoins non nourris en nous ? Et si nous cherchions nos propres Joséphine dans notre passé et que nous imaginions de quoi nous aurions eu besoin, pour nous libérer de quelques-unes de nos « conclusions sur la vie » ?

Conclusion, que faire quand un enfant autiste s’accroche à des conclusions ?

Pour en revenir à l’autisme, que peut-on faire face à un enfant qui développe des rigidités et de l’inflexibilité en réaction à des situations stressantes ? Et bien, on change l’environnement et on diminue le stress, pardi !

Plus facile à dire qu’à faire ? Certes. Mais déjà, avec de meilleures bases de compréhension des comportements déroutants de nos enfants autistes, on se sent plus apte à accueillir avec confiance et amour les chaises qui volent et les « t’es moche ! », et on diminue notre propre stress. Or, nous parents sommes un facteur important à prendre en compte dans l’environnement de nos enfants. Avec beaucoup de tendresse, de soutien, de tolérance envers nous-mêmes quand on rate monumentalement, de moments pour recharger nos propres batteries, et assez d’heures de sommeil, n’est-ce pas…

Ensuite, comme m’a dit Gwendoline, pour diminuer le stress et favoriser les apprentissages, il y a deux clés : la désirabilité et la prédictabilité. Pour ce qui est de la désirabilité, on part des IS de l’enfant (ce qui l’intéresse lui, sa manière de penser, ce qui lui plait…), et on prépare le terrain (routine, minuteurs, outils visuels, prévenir à l’avance des changements…). Et on s’envoie plein d’amour les uns les autres of course… sans diminuer l’expression de notre amour à nos enfants quand ils expriment leur non-amour de leur prochain.

Lire aussi : Je n’avais pas prévu.

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