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Parentalité, autisme, imposture & déni

30 avril 2020
Parentalité, autisme, imposture & déni

Le mois d’avril, dédié à la sensibilisation à l’autisme, est presque fini, et je me suis retrouvée face à un mur. Ou plutôt, un petit muret : j’ai hésité à en dire plus.

J’ai déjà pas mal partagé sur l’autisme l’année dernière, et j’espère avoir réussi à mettre des mots « utiles » pour des parents d’enfants autistes, et d’autres, sans non plus exposer la vie privée de mon fils et nos défis personnels.

Syndrome de l’imposteur du parent d’un enfant différent

Il y a une chose dont j’ai peu parlé, ou alors entre les lignes : le sentiment d’imposture. Pour tout vous dire, j’en avais écrit tout un paragraphe dans mon premier article sur le sujet (TIC TOC TED TSA…), à l’époque où mon fils n’avait pas encore de diagnostic. Mais j’avais enlevé ce paragraphe sans le publier, considérant que l’article était déjà bien assez long. Pas la peine de m’étendre sur mes états d’âme, de tomber dans le pathos… m’étais-je dit. 

Voici ce que j’avais auto-censuré :

« (…) Le syndrome de l’imposteur, c’est ce truc dans ma tête qui me dit des choses comme « mais pour qui te prends-tu ? », « non tu exagères », « tout va bien c’est juste toi qui… », « tu n’as pas ta place avec ces gens on va te démasquer », etc.

Figurez-vous que ce syndrome de l’imposteur s’active aussi face à l’autisme de mon fils. Voici la forme qu’il prend : mais non, il n’est pas autiste, n’importe quoi, tu n’as pas le droit de parler d’autisme, l’autisme c’est grave, il faudrait que ton fils bave partout pour que tu aies le droit d’en parler, tous les enfants font des crises de colère c’est normal, d’autres parents souffrent vraiment contrairement à toi qui gères très bien à part quand tu ne gères pas bien mais là c’est toi qui es une mauvaise mère c’est tout… la preuve, il va mieux.

Oui, j’utilise le fait que mon fils aille mieux, que ça ne se voit plus (attendons la rentrée des classes, hein), qu’il ne fasse presque plus de crises, que j’arrive mieux à le comprendre et à interagir avec lui, pour me flageller et me dire « tu vois, y’avait pas de problème, il n’était pas autiste, c’est juste toi qui t’y prenais mal »…

Car oui, mon fils va mieux. »

Voilà ce que j’écrivais il y a presque deux ans, et qui est toujours d’une actualité surprenante, alors que mon fils a maintenant un diagnostic officiel.

Depuis, avec des hauts et des bas, notre relation n’a fait que s’améliorer. Ma compréhension de son trouble a été essentielle, mais aussi mon cheminement personnel sur l’accueil des émotions : les siennes et les miennes. J’ai arrêté de juger nos émotions comme des critères de paix.

Déni et besoin de validation

Pourtant pendant longtemps, en constatant l’épanouissement de mon fils, à chacun de ses progrès… J’avais une sorte de doute. Et je ne sais pas si ce doute se dissipera tout à fait un jour.

Régulièrement, j’ai comme un besoin de validation : oui oui, il est bien autiste, tu n’as pas rêvé, oui oui c’est plus difficile qu’avec un enfant « neurotypique »… Et… non non tu n’y es pour rien.

Sans rentrer dans les détails des intérêts spécifiques de mon fils, toutes ses « originalités » très typiques de l’autisme me rassurent. Ce n’est pas moi, la mauvaise mère, c’est juste une différence, une autre manière de voir le monde. C’est bien réel. Je n’ai pas rêvé le décalage que j’ai si souvent ressenti dans ma maternité avec les autres mères que je croisais.

Au petit frère, qui un jour s’est exclamé, frustré que son grand frère ne vienne pas jouer avec lui tout de suite, que l’intérêt spécifique qui occupait son attention à ce moment-là n’était pas un vrai jeu, j’ai répondu que nous avions tous des gouts différents, et que c’était ce qui faisait la richesse du monde. Fière que j’étais de ma sage patience et de mon ouverture d’esprit…Tout en continuant, depuis deux ans, le protocole de Nemechek (DHA, huile d’olive et inuline) avec mon fils pour qu’il « guérisse » (avec les dix mille guillemets ). 

A voir, ma vidéo : Guérir de l’autisme ?

Et parfois, au-delà de ses « originalités », ce sont ses « crises » qui me rassurent.

Vous avez bien lu. Ses crises me rassurent.

Parfois, je me sens « validée » par les crises de mon fils. Validée dans mon rôle de maman d’enfant différent. Validée dans la légitimité de ce que je ressens comme des difficultés.

Parfois.

Et je le dis sans en avoir honte, parce que :

– Je sais que je ne suis pas être la seule.
– Je préfère la conscience de soi aux faux-semblants moralisateurs et/ou spirituels.
– Je sais que nous, mon fils, moi, notre famille… nous sommes beaucoup plus que ça, beaucoup plus que les expressions momentanées, aussi récurrentes soient-elles, de nos blessures.
– Un besoin, c’est un besoin, et j’apprends à ne pas juger mes besoins ni mes émotions associées… L’idée étant d’accueillir, instant après instant.

Ce besoin, c’est un besoin de validation, de reconnaissance, d’écoute… Un peu tout ça à la fois, et peut-être plus encore. Les parents d’enfants autistes, les parents tout court, et toutes les personnes dotées de la capacité à souffrir, connaissent ce besoin.

Ma tête me dit « mais on s’en fout, il est heureux, c’est l’essentiel, ne t’accroche pas à un diagnostic, ne le réduit pas à ça, ne t’inquiète pas, on ne sait pas de quoi l’avenir sera fait », mes paroles disent « tous les enfants sont différents et ont leur spécificité, et l’important est de comprendre et de répondre à leurs besoins », et à certains moments, mes blessures ravivées hurlent « il est autiste, c’est difficile, c’est un défi, je peux pleurer… mais cachée, car mieux vaut pleurer seule plutôt que de voir mes pleurs incompris ou ignorés… même si j’aimerais qu’on nous voie, qu’on nous entende, qu’on nous comprenne »… Et quand j’en arrive là, très très vite, ma tête reprend le relais et recommence à minimiser, et c’est reparti pour un tour de « mais ne t’inquiète pas… »

Stratégies malencontreuses pour chercher à recevoir de l’empathie

Je vais aller plus loin dans les confidences : je me suis souvent surprise à espérer que d’autres parents que je connais vivent les difficultés que j’ai traversées, pour qu’ils comprennent, et encore plus tordu, pour que je puisse les aider. Pour devenir celle qui est déjà passée par là, celle qui aide, celle qui sauve. Le beau rôle. 

Voilà ce qui peut me traverser la tête. Voilà jusqu’où peut aller un besoin de validation non comblé. Voilà où un mental en roue libre peut m’amener.

Et encore une fois, si je le dis, c’est que je n’en ai pas honte, pour les mêmes raisons que précédemment, et parce que je sais pour en avoir déjà parlé que je ne suis pas la seule.

Dans ces moments, je sais que ce qui parle, c’est mon ego. On n’arrive pas à la paix intérieure si on ne se regarde pas en face jusque dans nos moindres petitesses. En face et sans jugements. Observer. 

Puis j’ai compris. Cette écoute, cette validation, je peux me la donner à moi-même, ou bien trouver des personnes « ressources » qui savent et qui comprennent. Au lieu de laisser mon ego fantasmer de manière malsaine sur la sauveuse que je pourrais devenir, je peux apprendre… à m’écouter.

À faire la paix avec moi-même.

Faire la paix avec tous mes besoins qui, si je ne les écoute pas, recyclent les mêmes vieilles stratégies fumeuses et dysfonctionnelles, mises en place depuis belle lurette, et qui ne servent plus franchement mon évolution, me semble-t-il…

La validation et la reconnaissance par la souffrance… C’est un peu moisi ce truc, non ?

Je souffre, donc je suis ? Allez, zou, j’écoute, j’accueille, je reconnais, je dépose… Et je passe à autre chose. Mais pas avant d’avoir écouté, accueilli, reconnu, et déposé.

Accueillir les émotions

J’ai lu récemment dans le petit guide « Émotions, mode d’emploi » de Christel Petitcollin, un paragraphe sur les différentes manières de ne pas accueillir les émotions de nos enfants… L’une d’entre elles, c’est la parade : donner une autre explication aux émotions de nos enfants. Exemple : c’est de la fatigue. Autre exemple : c’est un caprice… Et c’est ainsi que l’on apprend à culpabiliser ou à ressentir de l’imposture face à certaines émotions. Non non, je ne devrais pas ressentir cette émotion, la situation ne le justifie pas. Allez, regardons les choses en face, moi je suis juste une capricieuse. Je n’ai plus qu’à me reprendre en mains. Mais… Aaaah j’y arrive pas. 

Bah non, j’y arrive pas. Parce que ma tête pourra dire tout ce qu’elle veut, minimiser autant qu’elle le voudra, l’émotion, elle, est toujours là.

Nous allons bien, et notre bonheur n’est pas une insulte au malheur des autres

Avec cet article, je ne suis pas dans une démarche de recherche d’empathie, mais dans une démarche de témoignage. Je n’ai pas besoin de compassion, du tout. Le besoin que j’écoute et auquel je réponds en écrivant tout ceci est celui du partage. Et mon partage se fait dans une grande joie. 

Aujourd’hui, je peux dire que l’autisme de mon fils n’est pas une source de souffrance. Surtout en plein confinement, sans aucun stress liées aux interactions sociales. Mon fils est heureux, et je suis sereine la plupart du temps. Oui, je me suis fait mordre il y a quelques jours, le bleu sur mon bras s’estompe tout juste, mais non je ne me focalise pas sur cet épisode qui a duré une seconde dans toute une semaine faite de rires et de jeux (et de disputes et de cris… bref, de tout ce qui constitue la vie de famille) pour vous faire croire que c’est difficile pour nous.

Oui, mon fils va bien, et peu importe l’autisme. Même si je ressens encore parfois cet étrange besoin de validation… Besoin que j’ai finalement appris à combler dans des groupes de parents d’enfants autistes, tout simplement. Il m’a été, à une époque, vital de parler avec des personnes qui savaient, qui voyaient et chez qui je pouvais déposer certaines paroles mal comprises autre part.

Dire que nous allons bien n’est pas une insulte pour tous ceux qui continuent de souffrir et de penser que non, l’autisme n’est pas une chance, l’autisme est un handicap, voire un cauchemar à vivre au quotidien. Si j’étais seule à la maison avec mes deux enfants, en plein confinement, je n’en mènerais vraiment pas large. Vraiment pas. Mais je ne suis pas seule, mon mari qui télétravaille est beaucoup plus présent que d’ordinaire, et ça fait une sacrée différence.

À ceux qui souffrent à cause de l’autisme d’un proche, je leur dis que je les vois, que je les crois, et que je sais. Je sais ce que c’est. Je sais qu’en situation d’isolement, c’est mission quasi impossible de garder la tête hors de l’eau. Je sais ce que c’est que d’avoir peur de la violence de son enfant. Je sais ce que c’est de se retrouver démunie face à un enfant qui s’auto-mutile, avec qui on ne parvient pas à communiquer. Je ne mesure peut-être pas à quel point leur expérience est douloureuse, mais je sais, de part les bribes de ce que j’ai pu vivre.

Remplaçons « autisme » par autre chose…

On peut remplacer « autisme » par tant de choses. Il existe tant d’épreuves, de défis, d’adversité, d’apprentissages… 

Parallèlement à ces épreuves, il semble parfois de bon ton de rabaisser ceux qui exposent un peu trop leur bonheur.

J’ai vu passer récemment une vidéo qui se moquait des célébrités et de leurs vidéos de confinement dans le luxe de leur maison, comparant la « futilité » de leur existence avec l’héroïsme des uns (soignants, personnel de supermarché, livreurs…), ou avec la souffrance des autres (endeuillés, chômeurs…).

J’avoue avoir du mal à comprendre la démarche, et encore moins à trouver ça drôle. Pour moi, que l’on humilie l’autre parce qu’il est riche et « futile », ou parce qu’il est pauvre, dans les deux cas, c’est de l’humiliation. C’est à dire de la violence.

Oui, on peut trouver indécent le fait d’inviter les autres à rester chez eux en se filmant depuis son grand jardin avec vue sur la plage… Moi la première. Est-ce une raison pour rabaisser et humilier ?

Si indécence il y a, elle n’est pas dans leur jardin, leur richesse, leur confort, elle est dans le déni de la souffrance d’autrui… Et sur ce point, honnêtement, quand on voit l’état de la planète, je crois que nous sommes assez nombreux à nager en plein dedans.

Pour moi, la plus grande indécence de ce confinement, elle est dans le fait que… hé, les gars ! Les guerres, les famines, les maladies, les catastrophes, ça existait déjà avant ! Dans des contrées lointaines, aux portes de l’Europe, en bas de chez nous. Et le confinement, ça existait déjà ! Dans les EPHAD, dans les prisons, dans la solitude, dans l’exclusion des « différents »… Et quelque chose en moi se crispe à l’idée qu’après le confinement, nous (je m’inclus) reprenions notre vie déconfinée sans trop qu’égard pour tous ceux pour qui le confinement ne s’arrêtera pas.

Le vrai enjeu, selon moi, est dans le déni de la souffrance. Quand personne n’est là pour écouter et accueillir ce qui en nous ou en l’autre souffre.

Et le parallèle entre la manière dont nous accueillons (ou n’accueillons pas) nos propres émotions et les émotions de nos enfants m’apparait plus clairement que jamais… Quel genre de pensées un enfant non validé dans ses émotions et dans ses besoins nourrit-il, d’après vous ?

Sortir de tous les dénis

Nous avons tous besoin d’accueil.

Arrêtons de juger les « petits » et les « grands » malheurs des uns et des autres.

Arrêtons de juger nos besoins, y compris nos besoins d’empathie face à nos « petits » malheurs.

Bien sûr on peut relativiser, on peut dédramatiser, on peut en faire de l’auto-dérision pour prendre de la hauteur… Tant que cela se fait avec l’accueil de la souffrance. Nos besoins sont ce qu’ils sont.

Être heureux, tandis que d’autres souffrent n’est pas de l’indécence.

La paix n’a rien à voir avec le bonheur

La paix, c’est l’accueil de ce qui est.

Pour vivre en paix, arrêtons le déni.

À lire (ou à écouter ) : Mettre en lumière les systèmes de domination

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10 Commentaires
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Marilyne
Marilyne
3 années il y a

Merciii ! Comme toujours, parfaitement juste ! Je me retrouve parfaitement dans tes sentiments d’imposture, dans tes dénis. Ici ce n’est pas l’autisme, c’est l’hypersensibilité associée au diagnostic d’HP. Et là, on a encore moins « le droit » de se plaindre car « ça va, hein, ton fils est super intelligent, tu devrais être contente ! » Voilà, voilà, voilà (tout le monde est super intelligent non ?). Et pourtant, l’hypersensibilité, c’est dur à gérer, surtout quand une bonne partie de la famille est pareil. Alors merci pour tes mots car ça résonne en moi et j’aurais bien été incapable de le formuler,… Lire la suite »

Simone
Simone
3 années il y a

Merci pour ce texte ! Comme il fait du bien ! Moi, je suis en burn out. Les enfants autistes c’est pas reposant (les enfants neurotypiques non plus, d’ailleurs !) Mon mari rêve d’une vie « normale » Moi, je ne sais pas ce que c’est l’expérience de parentalité « classique », la vie sans les institutions de soin, les rendez-vous hebdomadaires chez les spécialistes, la gestion des crises, l’aménagement des conditions de sortie, les papiers administratifs, les accompagnements scolaires et éducatifs. Je me suis durcie avec le temps, je n’arrive plus à accueillir l’émotion de mes enfants à 100%, je veux des vacances… Lire la suite »

Dai LEREV
Dai LEREV
3 années il y a

fatiguée.. j’ai lu en diagonale… mais étonnant combien ton témoignage résonne en la maman que je suis… et ça fait du bien de résonner avec un autre être humain… des fois c juste de cela que l’on a besoin… en ce temps de confinement…à l’unisson…MERCI de t’être dévoilée et MERCI d’être ..

Senga
Senga
3 années il y a

Bonjour
Je suis profondément touchée par la sincérité et l’authenticité de vos propos. J’aimerais être capable un jour d’être aussi sincère pour accueillir en moi ce que je passe mon temps à cacher. Votre texte résonne non pas dans ma tête mais dans mon cœur où il se déploie dans l’ouverture. Sincère, vivante et engagée, cela fait du bien de vous lire et me donne envie de retrouver le pire et le meilleur en moi pour en faire une synthèse et aimer, accueillir et embrasser le tout. Merci, merci, merci.

lamere
lamere
3 années il y a

CC Véronique, je pourrais te lire pendant des heures, tout ce que tu décris si bien me parle tellement ! ça me rassure de ne pas être la seule à peser comme ça !! quand tu parles du besoin de validation, d’espérer que les autres aillent mal pour pouvoir les aider, même si ça ne dure que qq secondes….se dire qu’on a exagéré quand notre enfant va bien, qu’en faite il est pas vraiment autiste….je rumine beaucoup de choses de ce genre en ce moment et c’est top de pouvoir lire ça et du coup de pouvoir en parler librement… Lire la suite »