Mon fils autiste exprime souvent et avec véhémence, que c’est aux autres de s’adapter à lui, et non l’inverse. Cela prend diverses formes, en particulier des ordres et des exigences. Je n’accueille pas toujours cela patiemment, car cela génère parfois deux émotions en moi :
– la peur qu’il n’intègre pas les règles sociales et le respect d’autrui, qu’il ne parvienne jamais à s’adapter, qu’il blesse d’autres personnes, et qu’il souffre de se sentir rejeté à cause de son intransigeance ;
– la colère de ne pas me sentir respectée dans mes propres limites (que je lui explique, mais qui lui passent souvent au-dessus de la tête, car chez lui l’autisme s’exprime notamment par une difficulté à se mettre à la place de l’autre et à envisager qu’autrui a ses propres ressentis…).
À voir aussi, la vidéo : Autisme de mon fils, ce que j’ai appris
Mes émotions sont valables, elles sont légitimes, mais elles m’appartiennent à moi et pas à mon fils. Elles expriment des besoins en moi : besoin d’être rassurée, d’être accompagnée, de comprendre comment mon fils fonctionne, de repos, de calme, de communauté soutenante… Ces besoins, ce n’est pas à mon fils de les nourrir, il est un enfant. Je lui explique, mais je ne peux pas m’attendre à ce qu’il comprenne, même si je peux continuer à lui expliquer et lui faire confiance pour qu’il comprenne petit à petit et à son rythme, en prenant en compte ses spécificités neurologiques (sans tomber dans une fatalité réductrice autour de son diagnostic d’autisme). La plupart du temps, il me suffit de relire des écrits sur l’autisme, d’écouter des témoignages d’adultes autistes, de partager avec des parents d’enfants autistes, pour dépasser ma peur, ou ma colère. Parfois il me suffit juste de pleurer un bon coup pour évacuer mon stress…
Mes émotions ne sont pas graves, mais elles sont parfois intenses, elles ont le droit d’être intenses, et je peux les accueillir sans danger sans non plus faire de mal à mon fils. Elles m’indiquent simplement un décalage entre mes besoins et ce que je vis dans ma relation avec mon fils, dont il n’est en rien responsable.
Mais au-delà des besoins dans l’instant que mes émotions expriment, je peux aussi avoir une autre approche, et déceler derrière mes émotions des croyances limitantes, toujours associées à des besoins non nourris. Et oui, derrière nos conditionnements, nos visions figées du monde, nos pensées automatiques, il y a des besoins non nourris… Y avez-vous déjà songé ?
Ainsi, si j’accueille mes émotions et que je porte mon attention à ce que je me raconte dans ma tête, je peux détecter des pensées automatiques sur moi-même et sur le monde : je suis trop exigeante, les personnes trop exigeantes ne peuvent pas être aimées telles qu’elles sont, il faut s’adapter, etc. Ces croyances sont associées à des émotions de honte, de culpabilité, de colère, de tristesse, plein de choses. En fait, ces émotions associées à ces croyances se ravivent très très souvent dans ma vie. Je peux remercier mon fils pour me mettre face à ces croyances.
Je peux alors me connecter à mes besoins, utiliser mon imagination pour les nourrir, et sentir comme ces croyances perdent alors de leur emprise en moi : je m’imagine petite fille, être aimée et acceptée en toute circonstance quelles que soient mes revendications, avec des adultes/guides bienveillants qui comprennent que derrière mes émotions et mes exigences il y a des besoins.
J’imagine qu’on répond à mes besoins sans juger de la forme dont je les exprime, qu’on me redirige avec tendresse et acceptation vers des manières d’exprimer mes besoins plus adaptées à la vie en groupe (sans me juger si j’en dévie), j’imagine qu’on me donne des ressources adaptées et un environnement sans violence pour que j’apprenne peu à peu, à mon rythme, à inclure les besoins des autres dans mes comportements…
Par l’imagination, je transforme les gros yeux des adultes qui me font me sentir honteuse, les ordres et les leçons données en situation de domination qui me font me sentir rebelle, la mise à l’écart et l’isolement qui me font me sentir désespérée puis rancunière, la violence qui me fait me sentir terrorisée…
J’imagine aussi des adultes à qui il arrive de s’énerver et qui s’en excusent, qui relient à voix haute leurs émotions à des besoins, voire qui sont accompagnés par d’autres adultes quand ils n’ont pas les moyens de prendre soin de leurs propres besoins… J’imagine tout ça, je vois des adultes imparfaits qui s’accompagnent les uns les autres, à hauteur de leurs capacités du moment à s’adapter aux besoins des uns et des autres.
Après cette petite visualisation, je peux me sentir à nouveau présente pour mon fils, connectée à l’instant tel qu’il est, et non perdue dans des peurs associées à des croyances limitantes déconnectées de la réalité. Car mon fils n’est pas moi. Je peux alors me connecter à ses besoins à lui, une fois les miens nourris par l’imagination (oui, juste par l’imagination… c’est puissant, l’imagination).
En fait, s’attendre à ce que tout le monde sache s’adapter aux autres est une considération discriminante. C’est en particulier validiste (validisme = discrimination à l’égard des personnes handicapées), car cela exclut les personnes autistes pour qui c’est plus difficile. C’est adultiste, car un enfant ou adolescent n’a juste pas encore/toujours la maturité nécessaire pour s’adapter aux autres en toute circonstance, il a besoin d’adultes dont il est dépendant pour prendre soin de ses besoins et l’accompagner vers l’autonomie (y compris l’autonomie en ce qui concerne d’apprendre à s’adapter aux autres).
Mais ce n’est pas que validiste et adultiste, c’est intolérant tout court, car beaucoup d’entre nous, adultes, n’avons souvent juste pas les moyens de nous adapter aux autres en toute circonstance… ne serait-ce que parce qu’on ne nous a pas appris. En fait, il n’y a pas dans la vie une limite nette entre handicapés/pas handicapés, ou entre enfants dépendants/adultes autonomes… Cette vision est violente et non respectueuse pour les handicapés, pour les enfants, comme s’il y avait des catégories d’êtres humains qui avaient le droit d’aspirer à l’autonomie et à des relations sociales d’égal à égal, et d’autres non. Nous sommes tous interdépendants, qui que nous soyons, l’autonomie est une notion relative.
Une vision du monde plus ouverte et inclusive pourrait être de s’attendre à ce que chacun s’adapte aux autres à hauteur de ses capacités et de ses ressources… Et dans cette vision du monde, en vrai, personne ne se dit « j’ai les capacités de m’adapter aux autres et d’être quelqu’un de sympa mais je ne vais pas le faire ». Pourquoi ne pas plutôt partir du principe que la capacité de s’adapter aux autres, d’équilibrer ses propres besoins avec ceux des autres, est une compétence qui s’acquiert, qui s’accompagne, qui fluctue aussi, et pour laquelle nous ne sommes pas tous égaux ? C’est plus réjouissant, vous ne trouvez pas ?
À lire aussi : Je n’avais pas prévu
Pour compléter, à suivre bientôt, un article sur l’autisme (mais pas que) à propos de l’inflexibilité, la rigidité, le manque de nuance, les catégorisations binaires… et de la manière de se relier aux besoins qui s’expriment derrière :-)
Une fois de plus, tu décris ce que je vis, et je me disais que la 1ère partie en méditation audio est exactement ce dont j’aurais besoin
ça bien du bien de se sentir moins seule n’est-ce pas ? :-)
Bonjour, j’ai beaucoup apprécié la lecture de votre article. Je crois qu’il peut y avoir une vraie différence entre s’adapter aux autres et comprendre les besoins des autres. Par exemple, on peut remplir un rôle professionnel pour s’adapter à une équipe de travail sans pour autant comprendre les besoins persos des gens (sauf si notre mission relève des ressources humaines ;) ). Et à l’inverse, on peut comprendre les besoins d’un collègue sans vouloir s’adapter complètement à lui mais en partant sur notre connaissance pour trouver des compromis de travail. Pensez-vous que votre fils pourrait intégrer des mécanismes sociaux en… Lire la suite »
Bonjour, merci pour votre commentaire ! Selon moi, s’attacher à comprendre les besoins des autres est dépendant du contexte, en particulier affectif, c’est clair. Dans un contexte professionnel ce n’est pas pareil qu’en famille. Et même en famille, ce n’est pas toujours à ma portée… Finalement, ça reste toujours la vigileance à mes propres besoins qui prime :-) Oui, avec l’autisme, il y a beaucoup de choses comme ce que vous suggérez qui peuvent fonctionner, en mettant du rationnel/prévisible/logique dans les relations. La gratification sociale, qui fonctionne naturellement chez la plupart des enfants (faire plaisir à maman), n’a pas la… Lire la suite »