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Circuler n’est pas un droit

24 novembre 2020
Circuler n’est pas un droit

Le droit de circuler n’a jamais existé dans nos sociétés. Circuler n’est pas un droit, c’est un privilège.

Cette pensée me taraude depuis quelques jours, et aujourd’hui, je suis à nouveau choquée par la violence de l’actualité, et je ne veux plus ne pas exprimer ce qui me heurte de plein fouet.

Lors du premier confinement, je n’arrivais pas trop à y mettre de mots, je n’étais pas allée à la racine de mon inconfort… Il se trouve que le premier confinement, n’a quasiment rien changé à ma vie, à part que tout à coup, je n’étais plus la seule à « rester chez moi ».

Mais bien sûr, contrairement à ce confinement « forcé », moi, si avant le confinement, je ne sortais pas, ou très peu, c’était par choix. Si j’avais voulu sortir, je l’aurais pu, simplement je ne le faisais pas, parce que… Plein de raisons. Rien de grave. Mes choix.

Donc au premier confinement, je me suis contentée de partager la jolie vidéo, doucement amère, d’une maman d’enfant autiste, pour rappeler que pour certains, le confinement, c’est tout le temps… (lien : vidéo ou article)

Et je n’ai pas trop dit grand chose de plus. Car j’avais peur qu’on me réponde, à juste titre, ceci : « toi tu restais déjà à la maison, d’accord, mais c’était ton choix ».

« C’est ton choix. »

Cette phrase est tellement pleine de violence que je ne sais pas par où commencer.

Cette phrase, c’est un homme qui ne comprend pas pourquoi une femme aurait peur de se promener le soir. D’ailleurs il y a des femmes qui n’ont pas peur, et qui font le tour du monde sans se faire agresser. Elles ont les bonnes tenues, elles ont le bon mindset. Et puis ça va, ce n’est pas grave de ne pas se promener le soir. Il suffit de rester chez soi. Quel besoin de se promener le soir ? Quoi ? Un couvre-feu ?

Cette phrase, c’est une personne blanche qui ne comprend pas pourquoi une personne racisée en occident vérifie toujours si elle a tous ses papiers sur elle avant de sortir. Quoi ? Se faire contrôler pour vérifier si on a le droit d’être dehors ? Une attestation de sortie ?

Cette phrase, c’est un citoyen qui habite là où il a le droit d’habiter, bah oui, c’est normal, c’est comme ça que fonctionne le monde, il y a des nationalités et des frontières. Sinon ça serait le bordel… Quoi ? Un rayon de 1 km ?

Cette phrase, c’est quelqu’un qui est libre de respirer sans tomber malade, de l’air à peu près pas trop pollué, lui qui n’a aucune conscience (ou ne vit pas trop mal la dissonance cognitive) des effets directs de sa consommation sur la pollution de l’air qu’est en train de respirer un autre être humain sur un autre continent. Quoi ? Un masque obligatoire ?

Cette phrase, c’est quelqu’un qui ne dépend de personne, et dont personne ne dépend. C’est quelqu’un qui n’a pas réarrangé la totalité de sa vie pour s’occuper d’un bébé, d’enfants, d’un proche malade, d’un parent dépendant… avec la charge mentale qui va avec, et en y laissant parfois une partie de sa propre santé. Quoi ? Une vocation ? Et sans être payé ? Sans être écouté ?

Cette phrase, c’est quelqu’un qui peut compter sur un réseau de solidarité autour de lui, qui sait que quoiqu’il arrive, il n’est pas seul. Quelqu’un qui n’est pas isolé, que l’on n’a pas mis à l’écart à cause de sa sexualité, de son genre, de son passé, de son caractère, ou d’une différence mal acceptée.

Cette phrase, c’est celui qui vit avec la tranquillité de toujours pouvoir retomber sur ses pattes, il a de l’argent de côté, de la nourriture, ou saura où en trouver, car dans sa construction psychique, dans son histoire, la peur de manquer n’existe pas (ou n’existe plus s’il a eu les ressources pour la dépasser).

Cette phrase, c’est quelqu’un dont la santé mentale est dans les normes et pour qui « sortir » signifie juste : prévoir de sortir, se préparer, ouvrir la porte, sortir. C’est quelqu’un dont les fonctions exécutives sont opérationnelles. C’est quelqu’un d’autonome pour qui sortir du lit et s’habiller n’est pas difficile.

Cette phrase, c’est un adulte qui ne voit pas où est le problème à obliger un enfant à aller ici, à faire cela , alors que tous ses besoins affectifs hurlent en vain qu’il veut autre chose. Mais sa parole ne compte pas. Il est trop petit. Ce n’est pas de sa responsabilité, pas de son ressort. Quant à l’écouter ? Pas le temps. Pas que ça à faire. Il faut qu’il apprenne, vite, et ça lui passera, tous ces caprices, chut les émotions.

Cette phrase, c’est une personne valide qui sait qu’elle peut quitter sa résidence juste quand elle le décide. Ce n’est pas compliqué. Il n’y a pas de problèmes si l’ascenseur est en panne. Il n’y a pas d’infirmiers pour barrer le passage de sa chambre en lui parlant de haut.

Cette phrase, c’est un être humain qui fait semblant de ne pas voir qu’il est en train de détruire le vivant autour de lui, et que ses « choix » tuent.

Cette phrase, c’est l’expression d’un privilège.

Cette phrase, c’est le retournement sémantique dans nos esprits de la notion de « choix ». Cette phrase, c’est une illusion. C’est un conditionnement intérieur autoritaire, mis en place en nous-mêmes par nous-mêmes pour pouvoir faire face à tant de besoins non nourris, tant de parts intérieures blessées…

Dans notre société actuelle, il n’y a jamais eu de liberté de circuler, ce n’était qu’un privilège, dans un système construit sur l’oppression. Ce sont des générations d’enfants aux besoins bafoués, qui une fois adultes, ne connaissent pas autre chose que les systèmes de domination, et les reproduisent, tantôt dominants, tantôt dominés.

Tout commence dans la manière dont nous traitons nos enfants.

Tout commence et finit en chacun de nous, il n’existe pas de séparation. C’est une jolie boucle de conscience et d’accueil que nous pouvons emprunter, ensemble, pas par « choix », pas par « volonté », mais par humanité. Un élan collectif. La non-violence.

Ouvrir les yeux, écouter, ouvrir les yeux, écouter, écouter encore, revenir en nous à la racine de nos blessures et leur ouvrir les bras, répondre enfin à nos besoins non nourris, et imaginer autre chose. Imaginer…

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3 Commentaires
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Lucie
Lucie
3 années il y a

❤️ bravo pour cet article !

Nathalie
Nathalie
3 années il y a

Merci pour la piqûre de rappel. C’était compliqué aujourd’hui avec mes 2 loustics… te lire permet de remettre l’essentiel à sa place. Merci

Barbara Magrecki
Barbara Magrecki
3 années il y a

❤️